La consigne lumineuse, Printemps-été 2018
EAN13
9782897593582
Éditeur
Atelier 10
Date de publication
Collection
Nouveau Projet
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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La consigne lumineuse

Printemps-été 2018

Atelier 10

Nouveau Projet

Livre numérique

  • La consigne lumineuse

    Aide EAN13 : 9782897593582
    • Fichier PDF, avec Marquage en filigrane
    1.99
Les sons et les odeurs voyageaient au ralenti dans l’air cotonneux de la
cabine, toutes sensations étouffées par l’environnement hygiénique, sucré-
salé, de l’avion. Les pensées mêmes, dans cette sorte d’idée déréglée du
confort, semblaient capitonnées, sécurisées de force. Le gazouillis des agents
de bord, leurs allées et venues sautillantes, leur affairement d’opérette
rythmaient la somnolence douçâtre qui prenait les passagers. Sarah cognait des
clous en plein soleil. Il était tôt, même pas dix heures, et c’était déjà son
deuxième vol de la journée. Il n’y avait pas eu beaucoup de sommeil dans le
mois précédent, les nuits et les jours virés à l’envers, les répétitions dans
la peinture blanche et la canicule, entassés dans un grand théâtre loin en
Savoie, les camarades tous les jours, anciens, nouveaux, leurs visages, leur
sueur, leurs voix, des heures dans le noir de la salle principale, énormément
de travail, puis la longue descente en autocar vers la Provence et son
mythique festival d’Avignon. Michael Jackson était mort, ils l’avaient tous
appris à la fin d’un enchainement. Les amitiés étaient insondables, les
absents et les blessés pesaient leur poids de silence sur tout le monde,
l’équipée était démesurée, commencée loin avant ce juillet-là, des années
avant en fait, sur un autre continent, dans des théâtres minuscules. Toute
cette formidable dépense d’énergie collective pour simplement se raconter des
histoires, la nuit venue, était en soi un acte de foi forcené. Il leur en
avait fallu du temps, des hasards, des efforts, des erreurs et des abandons
pour se retrouver là tous ensemble. Les représentations duraient 11 heures,
débutant dans la fébrilité au coucher du soleil, finissant entre le rêve et
l’exploit sportif, dans un froid humide qui pénétrait jusqu’aux os, et les
saluts avaient lieu pieds nus dans le lever du jour. Sarah avait gouté chaque
minute de cette sorte de vie hallucinée, magnifique, trompeuse. Après, il
resterait la tournée qui se déplierait tout le long de l’année à venir. 2009,
2010. Sa vingtaine finissait de se consumer, et ses fumées ne contenaient
aucun présage, lui semblait-il. En marchant pour rejoindre l’appartement frais
et sombre les matins, elle pensait que ça, tout ça, se passait juste une fois
dans une vie. Elle regardait la lumière blanche de l’Europe droit dans les
yeux. Elle ne dormait pas assez, jamais, et au réveil elle mangeait un steak
saignant pour se donner la force de passer à travers une autre nuit debout.
C’était le chaos, et elle l’embrassait à pleine bouche.
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