Pour quelques carats de plus

Une tranchée ouverte, des lumières de phares et de lampes, une bruine légère
et froide, je remonte ma cape sur ma tête pour me protéger et serre le bras
d'Alan pour me rassurer. Je chuchote :
— Regarde, Alan !
Au-dessus de la tranchée, une sorte d'échassier est courbé. Deux longues
jambes, un imperméable défraîchi que nous connaissons bien : le commissaire
Deleuze, tel qu'en lui-même, le maigre cheveu mouillé flottant sur son front.
Autour de lui, le médecin légiste, David Mannheim, des policiers attentifs et
une équipe de pompiers.
Je me prends les pieds dans ma robe de velours et au lieu de sauter
gracieusement dans le boyau ouvert, je m'écroule comme un tas sans élégance
juste aux pieds du commissaire et quasiment sur les jambes inertes d'un corps
étendu.
— Mais, qu'est-ce que..., hurle Albert Deleuze, en se redressant et en
rejetant ses mèches filasses d'un geste de la main désormais historique.
Alan se précipite vers moi. Je suis sonnée, je reste coite. Mes rencontres
avec Deleuze sont décidément houleuses.
— Alan, enfin, vous êtes là ! Où est Éléonore ? Alan hoche la tête et avance
un doigt :
— Là ! Albert !
Je me décide à risquer un oeil sous mes enveloppes. Le commissaire fait un pas
en arrière :
— Je n'avais pas remarqué ce tas de fripes ! Et il bouge !
La plaisanterie a assez duré, je me relève non sans mal. Mon dos est brisé.
— Mon dieu !
Ce cri m'échappe car je découvre le corps couché dans le chantier. J'enlève ma
cape, secoue mes cheveux et m'agenouille.
— Mais c'est une femme !
— Bravo Madame Rigotte ! Je n'avais pas remarqué ! Ne touchez à rien et venez
sur la route ! J'ai des questions à vous poser...