L'ODYSSEE D'HOMER... J. SIMPSON

Héloïse d'Ormesson

11 janvier 2011

Quand Augusten Burroughs décrit le dysfonctionnement familial, il ne mâche pas ses mots en évoquant le rapport au père, entre haine acerbe et tendresse infinie. Son récit est poignant, les mots d'une extrême dureté, et les situations choquent. Un roman qui ne peut laisser insensible tant on se prend de pitié pour le narrateur.

Dès son plus jeune âge, le petit Augusten est confronté à un père dangereux, malveillant. Alors qu'il n'arrivera pas à se souvenir de son géniteur dans sa prime enfance, il lui sera ensuite "impossible de l'oublier, quels que soient ses efforts". Gentil, attachant, le jeune garçon va en baver toute son enfance. Les réprimandes de son père seront constantes et sa quête d'amour paternel sera vaine... Aucun contact, aucun signe d'affection, aucune reconnaissance. Chéri par sa mère (heureusement...), le petit ne semble pas exister aux yeux d'un père qui manque totalement d'humanité ! Le petit Augusten ira jusqu'à créer "un père de chiffon" pour pouvoir se blottir contre lui... Une scène attendrissante mais tellement pathétique. L'enfant aime ce père pourtant si cruel...

Après un énième traumatisme causé par son géniteur, "la haine s'épanouira en lui. Mon père ne méritait pas de respirer", dira-t-il. Seul et apeuré, entouré d'une mère suicidaire et d'un père consumé par l'alcool, il grandira en regrettant d'être venu au monde, de ne pas être adulte ou mort ou encore de ne pas être capable de tuer son père...

Et que lui réserve l'avenir ? Il aspire à la fierté, à l'amour, à l'admiration de la part de son père. Il veut connaître ce dont il a été privé : "Le beau, le bon, le merveilleux, le juste". Il donnerait tout pour le ressentir, ne serait-ce qu'une fois, pour lui-même... Et pourtant, son plus grand besoin, au final, n'est-il pas de savoir si, en grandissant, il ne devait pas devenir comme ce père infect... Adulte, il mène d'ailleurs une double vie : sain d'esprit et drôle le jour, il boit la nuit. Une dérive qui le terrifie puisqu'il se rend compte qu'il possède en lui "une part plus sombre et plus sinistre, la part du père", celle qu'il a déjà envisagé de supprimer...

8 janvier 2011

Le poète et écrivain russe Alexandre S. Pouchkine (1799-1837) est considéré, par beaucoup, comme le plus grand écrivain russe et celui qui incarne l'âme slave de son pays. Homme à femmes, séducteur insatiable et incarnation du génie national, il avait toutefois mauvaise réputation, en raison d'un esprit aussi libre que libertin. Encensé de son vivant, les circonstances tragiques de sa disparition (mortellement blessé au cours d'un duel avec son beau-frère, le baron alsacien George d'Anthès) en font une véritable légende.

Ce "Journal secret", manuscrit mythique recherché durant près d'un siècle et sorti clandestinement d'URSS en 1976, est publié pour la première fois aux États-Unis en 1986. Pouchkine se met à nu et couche son âme sur le papier. Obsédé par la chair et la mort, il collectionne les femmes et raconte les relations qu'il entretient avec elles. Des révélations à cœur ouvert sur ses conquêtes amoureuses, ses ébats sexuels, ses fantasmes, ses orgies... Des réflexions et confessions des plus érotiques et un langage on ne peut plus cru. Sa vénération pour le sexe féminin lui fait multiplier les aventure comme un saint homme qui visiterait toutes les églises pour mieux prier Dieu ! Rester fidèle à sa propre femme le terrifiait plus que de penser à l'inexorable mort... Entre vie et mort, amour et perversion, tendresse et violence contenue, fidélité et infidélité, plaisir et chagrin, Alexandre S. Pouchkine se laisse dévorer par la jalousie jusqu'à causer peu à peu sa propre perte...

7 janvier 2011

Voilà un drôle de sujet que ces "Liaisons ferroviaires" qui explorent l'amour contemporain pendant un voyage en train. Le TGV n° 9864, voiture 16, entre Nice et Bruxelles. A son bord, des hommes et des femmes. Une maître de conférences, un musicien de jazz, une psychanalyste, un ethnologue, un entraîneur de foot... sans oublier le conducteur, les contrôleurs, le barman. Tour à tour, on rentre dans l'esprit de chaque voyageur. Pensées, soucis, fantasmes... On observe une variété prodigieuse de comportements. Timidité, audace, exubérance...

Au fil des pages, "on sonde le mystère des êtres qui passent et qui se croisent, s'aperçoivent, s'évitent, se renfrognent ou s'ouvrent les uns aux autres, se racontant leur vie le temps d'un voyage. Chaque passager nouveau, chaque gare est une promesse, l'esquisse d'une conversation, un geste intempestif, une manœuvre verbale, une interpellation exubérante, une pensée inavouable qui tout à coup, à la faveur d'une rencontre avec un inconnu, fait surface".

Ce long trajet promet l'aventure : des rencontres improbables, des complicités passagères, des conversations passionnées, des stratégies de séduction, des amorces de relations, des interactions verbales... Quelle étonnante science que celle des transports relationnels. "Le transport des corps, la circulation des désirs". Un roman surprenant, facile à lire, qui dépeint merveilleusement le contraste entre la vitesse d'un TGV et la lenteur des rapports humains.

6 janvier 2011

Ce thriller de William Lashner met en scène, pour la septième fois, le personnage de Victor Carl, un avocat spécialisé dans la défense des pires crapules. Autrefois fiancé, celui-ci renoue avec son ancien amour, Julia. Malgré une amertume tenace vis-à-vis de la jeune femme qui l'avait plaqué pour épouser un riche médecin, il va passer l'éponge. Tous deux vont faire leur mea culpa. Des retrouvailles qui coïncident avec l'assassinat du mari de Julia. Les deux amants sont dans le pétrin. Ils sont les principaux suspects. A leurs basques, deux inspecteurs de police pas vraiment commodes.

L'avocat décide de se tenir à l'écart, l'amour retrouvé s'étant mué en franche paranoïa. Victor Carl a l'impression que quelqu'un essaie de le piéger... Ses soupçons se confirment quand il découvre, dissimulé dans son bureau, une pochette en cuir appartenant à Julia. A l'intérieur, tout l'attirail du parfait toxico... Le voilà impliqué : dindon de la farce ou pigeon désigné ? Il décide de mener l'enquête.

Commence alors une bonne intrigue policière qui contient les ingrédients traditionnels d'un thriller. Un crime passionnel, un détournement d'argent, un avocat véreux, une veuve pas si éplorée que ça, un gangster russe affublé d'un tueur espagnol, un vieux copain de fac de la défunte adepte à la drogue, un policier pourri et un autre nettement plus respectueux de la loi, un ancien client de l'avocat qui se mue en détective privé... Et, avec tout ce petit monde, on se prend facilement au jeu de l'intrigue.

Héloïse d'Ormesson

3 janvier 2011

Avec "En attendant Robert Capa", Susana Fortes s’est emparée d’une histoire vraie : celle de Robert Capa et de Gerda Taro, deux photographes de guerre, deux personnages hors du commun. Elle nous fait vivre la vie d'une héroïne dans toute sa complexité de jeune femme juive en des temps meurtriers, fascinée par la guerre et avide de s’accomplir en tant que photographe... au mépris de sa vie !

L'histoire commence à Paris, dans les années 30, autour des cercles intellectuels de la rive gauche, avec des militants de toute l’Europe qui ont fui le fascisme émergeant de leur pays. On fait connaissance avec la jeune immigrée Gerta Porohylle et un autre réfugié juif venu de Budapest, André Friedmann. Ce dernier, photographe passionné, va l'initier à son art. L'héroïne va alors vivre une vie qui n'est pas la sienne.

Au fil des pages, entre intrigues politiques et amoureuses, on suit le quotidien des deux photographes devenus amants. Faute de commandes, ils vont jusqu'à s'inventer un personnage, ils vont se dédoubler, devenir un autre, jouer un rôle : lui devient Robert Capa, un photographe américain triomphant et audacieux, elle devient photographe et "agent" sous le nom de Gerda Taro, en hommage à l'actrice Greta Garbo. Leur destinée va les conduire en plein cœur de la guerre d’Espagne où Gerda perdra la vie et Capa, son grand amour.

Minutieusement documenté, le roman de Susana Fortes est une belle réussite. Triste sans toutefois tombée dans la mélancolie, l'histoire est captivante et portée par une écriture juste et précise. Une fresque historique qui réussit parfaitement à faire dessiner la grande Histoire derrière la petite.

A noter que ce roman, traduit en douze langues et déjà best-seller, sera bientôt adapté au cinéma par Michael Mann, avec Eva Green dans le rôle principal.